Éric Mathais Procureur de Dijon en Exclusivité sur Le Cannabiste: loi et CBD

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Alors que le mois d’Août s’étire doucement, la rentrée scolaire se profile déjà. Le Cannabiste avait envie de savoir ce que dit vraiment la loi, à propos des boutiques de chanvre de détail, qui ont bourgeonné un peu partout cet été en France et que l’état refuse de voir fleurir sur son territoire. Aujourd’hui, nous sommes particulièrement fiers d’accueillir Éric Mathais, Procureur de la République au Tribunal de Grande Instance de Dijon. 

Il s’exprime souvent sur les réseaux sociaux, c’est comme cela qu’on le sait amateur de gelée aux fruits des bois. C’est comme cela aussi, que tout le monde a compris, CBD ou pas, qu’à Dijon, la question des coffee shops et des boutiques de chanvre ne se poserait pas. En tout cas pas longtemps. 

Éric Mathais est Procureur de la République. Et sur Twitter il en serait même plutôt la ‘version 2.0.’ D’ailleurs avec @LeCannabiste.com, nous l’avons si souvent interpellé et hash-tagué’, qu’on s’attendait plutôt à ce qu’il nous black-liste. Mais tout au contraire, il a fini par nous répondre. C’est une interview exclusive Le Cannabiste.

 

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#Edito

Été 2018: La France connait une série d’interventions policières sans précédent chez les commerçants du chanvre et du CBD de détail. Au total pas moins de 26 boutiques seront fermées en 15 jours. Pour de nombreuses personnes parmi ces nouveaux entrepreneurs, c’est la douche froide. Perquisitions, saisies. Le bras de la justice s’abat sur eux comme il frapperait des trafiquants de drogue. De nombreux commerçants doivent à présent répondre de charges relatives aux stupéfiants. En France, les peines prévues pour punir cela sont lourdes et les amendes particulièrement élevées. Certains gérants auront mis la clé sous la porte d’eux même, d’autres ont tout simplement annulé leur ouverture. Pour nombre d’entre eux, dont le magasin demeure encore ouvert, c’est l’angoisse. Alors plutôt que de laisser tout le monde inquiet sans savoir ni pourquoi ni comment, Le Cannabiste est allé le demander à Monsieur le Procureur.

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#Linterview

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LC: Bienvenue Monsieur Le Procureur de la République, vous êtes très actif sur les réseaux sociaux et dans vos missions à lutter contre toutes les formes de Cannabis. Vous assumez une démarche préventive ouverte et transparente. En dehors de l’aspect évident du maintien des lois, qu’est ce qui ne va pas pour vous, au regard de la consommation de Cannabidiol (ou CBD)?

« Je n’ai, en tant que procureur, pas d’avis particulier sur le CBD. S’il s’agit d’une substance ayant des vertus thérapeutiques comme médicament, elle devrait faire l’objet d’une autorisation de mise sur le marché. Ce type d’autorisation est, me semble-t-il, destinée à s’assurer de manière scientifique, objective et non partisane, que le bilan inconvénients/avantages est en faveur des avantages. 

Comme vous le rappelez, en l’état il y a une législation concernant le cannabis et ses produits dérivés. Certains estiment que cette législation est trop sévère. D’autres estiment, à tort selon moi et selon l’analyse juridique de nombreux procureurs et du ministère de la Justice, que cette législation est floue. Cette législation existe et l’un des rôles des procureurs est de s’assurer de l’application de la Loi. A l’avenir, il est possible que la législation évolue. Nous verrons si c’est le cas. »

 

Le procureur de la République du Tribunal de Grande Instance de Dijon : Éric Mathais – Crédits Twitter

 

LC: Comment réagissez-vous lorsque on accuse de choix politique, le fait d’intervenir au niveau des magasins de CBD, en suivant une série de recommandations qui iraient au delà du cadre de l’application des lois.

« La législation me semble plus simple et claire que ce que l’on dit ici ou là. Une dépêche de la Direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la Justice en date du 23 juillet 2018 a du reste rappelé, au niveau national, les règles juridiques en la matière. La MILDECA et d’autres organismes avaient déjà du reste rappelé ce cadre législatif.

Le Cannabis est un stupéfiant, comme le précise l’arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants. Sont donc interdits la production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi de Cannabis comme le précise l’article R5132-86 du code de la santé publique. Cette interdiction vaut pour le Cannabis, sa plante et sa résine, ainsi que pour tous les produits en découlant ou en contenant.

Ce même texte instaure une dérogation limitativement définie par l’arrêté du 22 août 1990 qui précise les conditions d’application de l’article R5132-86 du code de la santé publique, afin de permettre la culture du chanvre industriel (notamment pour l’industrie textile ou cosmétique). Cette dérogation ne concerne que certaines parties (fibres et graines), de certaines variétés de cannabis (le Cannabis Sativa L) et à la condition expresse que ces plantes initiales soient très faiblement dosées en delta-9 Tétrahydrocannabinol (THC).

 

Le texte autorise l’utilisation exclusive des fibres et graines de la plante.

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Les feuilles, les fleurs, l’enveloppe florale, les bractées, les sommités fleuries ou fruitées n’entrent pas dans le champ de la dérogation, et sont donc des stupéfiants. En conséquence, le commerce de feuilles, fleurs ou têtes de plants de cannabis, quelle que soit sa variété, constitue les infraction d’acquisition, détention et cession de stupéfiants.

L’article 1 de l’arrêté du 22 août 1990 précise:

« au sens de l’article R. 5181 du code susvisé, sont autorisées la culture, l’importation, l’exportation et l’utilisation industrielle et commerciale (fibres et graines) des variétés de cannabis Sativa L répondant aux critères suivants : la teneur en delta-9 tétrahydrocannabinol n’est pas supérieur à 0,20 % (…) ».

Ce seuil de 0,20% de THC est à l’origine d’une confusion exploitée à tort par les propriétaires de magasins de cannabis prétendument légal. En effet, si la culture du chanvre dans les strictes conditions précitées est possible, le produit fini ne peut, en tout état de cause, jamais contenir de THC, même en dessous de 0,20%

==> Toute commercialisation de produits contenant du THC, même dosés à moins de 0,20%, est donc prohibée.

Le cannabidiol dit « CBD » n’est donc pas classé comme stupéfiant, seulement si 2 conditions cumulatives sont remplies:

  • Le cannabidiol doit avoir été obtenu en respectant les termes de la dérogation prévue par l’article 1 de l’arrêté du 22 août 1990, c’est-à-dire à partir de fibres et graines de cannabis Sativa L, et pour autant que ces végétaux soient très faiblement dosés en delta-9 tétrahydrocannabinol (moins de 0,20 % de THC dans la plante initiale). C’est ce que rappelle notamment la dépêche de la DACG du 23 juillet 2018. La MILDECA avait aussi rappelé dans un communiqué du 11 juin 2018, que les e-liquides et autres produits à base de CBD sont interdits s’ils ne sont pas obtenus à partir de variétés et de partie de plantes autorisées.
  • Les produits à base de CBD ne doivent contenir eux-mêmes aucun tétrahydrocannabinol (THC). La MILDECA le rappelle dans son communiqué du 11 juin 2018, que le taux de 0.20 % de THC permis, « n’est pas un seuil de présence de THC dans le produit fini mais dans la plante elle-même ». La DACG rappelle également ce principe. Dès lors, les produits transformés à partir de ces parties de la plante (appartenant aux variétés autorisées), spécifiquement ceux susceptibles d’être absorbés par l’organisme humain, ne doivent jamais comporter de THC, sous peine d’être qualifiés de stupéfiants.

Il est par ailleurs interdit de faire de la publicité ou de la promotion pour les stupéfiants ou pour tout produit présenté comme tel. Il est également interdit de faire de la publicité ou de la promotion pour des produits présentés comme des médicaments, lorsqu’ils n’ont pas eu d’autorisation de mise sur le marché. »

 

« Il n’y a à mon sens ni remise en cause, ni changement de cap »

 

LC: Le droit Français ne fait pas de distinction entre Chanvre et Cannabis. Est-ce que au niveau du parquet de Dijon, vous distinguez le traitement des affaires, en fonction de ces deux types d’une même plante? Car il existe d’autres activités économiques liées au Chanvre depuis toujours n’est-ce pas? Sont-elles remises en cause? Pourquoi changer brusquement de cap ?

« Chanvre et cannabis c’est, me semble-t-il, la même chose dans la législation française. Le principe est la prohibition, avec certaines variétés qui sont, par dérogation, expressément autorisées. Elles doivent donc du reste contenir mois de 0,20 % de THC dans la plante initiale. Le système actuel permet la culture et l’utilisation industrielle ou commerciale, dans les limites des dérogations accordées. Il existe ainsi par exemple au nord de la Bourgogne des cultures autorisées de chanvre/cannabis, destinées à alimenter l’industrie, les bâtiments ou les cosmétiques. Il n’y a à mon sens ni remise en cause, ni changement de cap. Uniquement un rappel de la législation existante. »

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Illustration La loi – Crédits @ Pixabay

 

« La législation Française est actuellement très restrictive et sévère »

 

LC: A la lumière des différentes procédures diligentées par le Parquet à Dijon ces dernières semaines, certaines voix s’élèvent pour protester contre une inégalité de traitement. Pourquoi avoir expressément fermé les magasins de CBD tandis que les bureaux de tabac qui ont aussi vendu du Cannabis restent eux ouverts? 

« Un des rôles du procureur de la République est donc de faire appliquer la loi. Cette Loi doit et peut être appliquée en adaptant et en personnalisant la décision en fonction des circonstances de fait. 

En l’occurrence il existe à mon sens une véritable différence entre les deux premières boutiques qui ont été fermées à Dijon et le bureau de tabac que vous évoquez. S’agissant des deux premières, environ 80% des produits qui étaient proposés à la vente étaient des produits illicites et susceptibles d’être qualifiés de stupéfiants. S’agissant du bureau de tabac moins de 1% des produits offerts à la vente étaient illicites. Ils ont été immédiatement détruits avec l’assentiment du buraliste. Dès lors il est assez normal me semble-t-il que la décision n’ait pas été la même car les circonstances de fait étaient très différentes. »

 

« Il est possible qu’un débat s’instaure en France, comme dans de nombreux autres pays, pour savoir si cette législation doit évoluer »

 

LC: Vous étiez en charge pour le ministère public à Brest au moment de l’affaire Christian Doukhit, un Mauricien de 47 ans tué à Brest pour du Cannabis de mauvaise qualité. Récemment, à la mémoire de cet homme, la FSU Bretagne réclame une légalisation contrôlée du Cannabis en FrancePensez-vous qu’il existe une possibilité qu’en France, pour qu’un modèle fonctionnel de légalisation contrôlée du Cannabis voie le jour ? 

« La législation Française est actuellement très restrictive et sévère. Il est possible qu’un débat s’instaure en France, comme dans de nombreux autres pays, pour savoir si cette législation doit évoluer. Ce débat devrait à mon sens précéder tout changement ou statut quo. »

 

« la possibilité de commercialiser des produits finis avec un taux de THC inférieur à 0,20% n’aurait pas de sens »

 

LC: La loi Française précise que le taux de THC mesuré dans la plante doit être inférieur à 0.2% mais il ne dit rien des produits finis ou transformés. Alors pourquoi considérer illégaux les produits transformés qui contiendraient moins de 0.2% de THC comme les fleurs? Est-ce vraiment légal?

« Le principe de la législation française est celui de la prohibition du Cannabis et en particulier du THC. En la matière on pourrait dire que tout ce qui n’est pas expressément autorisé est interdit. La législation prévoit ensuite certaines dérogations qui sont donc d’interprétation restrictive. Dès lors la tolérance d’un taux de THC inférieur à 0,20% dans certaines plantes limitativement énumérées ne peut concerner que la plante initiale. Toute autre interprétation (et en particulier la possibilité de commercialiser des produits finis avec un taux de THC inférieur à 0,20%) n’aurait pas de sens dans notre législation. »

 

« Si la société Française estime à l’avenir que la prohibition présente plus d’inconvénients que d’avantages, il sera nécessaire de changer la Loi »

 

 

tweet
Quand on vous dit qu’on essaye, on essaye. Et des fois même on nous répond 🙂

 

LC: Avant votre arrivée, à Dijon entre 2011 et 2015 les infractions sur les stupéfiants ont augmenté de presque 15%, +4,6% en seulement 1 an entre 2014 et 2015. 

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Voici la question avec laquelle nous nous  étions permis de vous interpeller publiquement sur Twitter : « Que répondez-vous à ceux qui affirment que la répression des magasins de #chanvre et de #cbd fait le lit d’un marché noir du #Cannabis en constante expansion ces dernières décennies? »

« D’une part, les statistiques en matière d’infraction à la législation sur les stupéfiants témoignent en premier lieu du plus ou moins grand engagement des forces de sécurité intérieure en la matière. Ce sont des statistiques qui sont principalement significatives de l’activité en la matière des policiers, des gendarmes ou des douaniers. On parle  ‘d’infractions révélées par l’action des services’.

D’autre part, on en revient à la question de la Loi. Tant que la loi interdira le commerce de Cannabis et assimilé, les services de sécurité intérieure et la Justice la feront appliquer. Il serait difficilement compréhensible, me semble-t-il de ne pas appliquer à loi prohibant notamment le trafic de stupéfiants aux magasins de type ‘Coffee-shop’ et de l’appliquer aux réseaux clandestins de trafic. 

Si la société française estime à l’avenir que la prohibition présente plus d’inconvénients que d’avantages, il sera nécessaire de changer la Loi. »

 

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 Illustration : jeune plant de Chanvre – Crédits Pixabay

 

–Interview réalisée en ligne en Août 2018 — Jean-pierre Ceccaldi pour The Blinc Group – Le Cannabiste 2018 Tous droits réservés —

A propos Jean-Pierre 1227 Articles
Fondateur et rédacteur du média Le Cannabiste. Je suis un journaliste autodidacte spécialisé dans le domaine du Cannabis. J'ai été choisi par un incubateur de Cannabusiness New Yorkais pour devenir leur consultant permanent en matière de Cannabis. Je publie de nombreux articles interviews et essais en langue Anglaise ainsi que pour la presse Française et l'industrie du Cannabis en général.