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L’inévitable Renaud Colson

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Renaud Colson est maître de conférences à l’Université de Nantes. Quand il n’enseigne pas le droit, il sillonne le globe pour y observer les diverses expériences institutionnelles de régulation des drogues. Il a notamment publié Les drogues face au droit (PUF, 2015) et European Drug Policies : The Ways of Reform (Routledge, 2017). De retour du Canada, où il a passé plusieurs mois à étudier la légalisation en cours, Renaud Colson nous livre ses impressions sur les transformations aujourd’hui à l’œuvre dans le monde Cannabique.

* * *

« L’inévitable légalisation du Cannabis« 

#Interview

LC: En matière de réforme en France avec le cannabis: Faut-il changer l’herbe pour la loi, ou bien changer la loi pour l’herbe?

La formule est bien trouvée mais je crains que la question ne soit, hélas, purement rhétorique.

Il est vrai que cet été, on a cru possible d’adapter l’herbe à la loi car la législation en vigueur, qui articule normes françaises et européennes, consacre, par voie d’exception, la licéité du CBD et des fleurs de chanvre dont la teneur en THC est inférieure à 0,2 %. J’en ai fait la démonstration dans un article récemment publié au Recueil Dalloz (disponible ici). Mais les pouvoirs publics, en l’occurrence la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives et le ministère de la Justice, ont considéré qu’une telle lecture de la loi n’était pas acceptable.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, la signification de la loi n’est pas inscrite dans son texte : elle résulte avant tout de l’interprétation qu’en donnent les autorités officielles. Celles-ci se sont montrées, sans surprise, très conservatrices. Cependant, un coup de théâtre n’est pas à exclure. C’est en effet la Cour de justice de l’Union européenne qui aura le dernier mot. La question préjudicielle dont elle est saisie dans l’affaire Kanavape devrait permettre de déterminer enfin avec certitude le sens du droit applicable. En attendant cette décision, et en l’absence de réforme du droit Français, il n’est pas possible d’adapter l’herbe à la loi.

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LC: Afin d’obtenir du CBD la loi Française dispose que la transformation et l’extraction ne peuvent se faire qu’à partir de « graines et de tiges ». N’est-ce pas un peu tiré par les cheveux selon vous ?

Illustration de la peur irrationnelle nourrie par certains bureaucrates à l’égard des fleurs de chanvre, cette position est absurde. Elle a pour conséquence d’interdire en pratique l’exploitation d’une substance qui est théoriquement licite. Il semble en effet que l’extraction de CBD à partir de graines et de tiges, à l’exclusion des fleurs, soit techniquement impossible.

La position intransigeante du gouvernement est déraisonnable mais elle est, dans le même temps, porteuse d’espoirs. Elle est en effet constitutive d’une entrave à la libre circulation des marchandises en Europe et devrait, à ce titre, être censurée par la Cour de justice de l’Union européenne.

Il eut été plus judicieux pour le gouvernement Français de laisser la porte entrouverte. A vouloir la fermer complètement, il pénalise durablement l’industrie chanvrière Française et expose notre pays à être ridiculisé sur la scène européenne.

 

« Peut-on dire que le cannabis a des effets thérapeutiques ?« 

 

LC: Au Canada, dans son projet de légalisation contrôlée du Cannabis, Justin Trudeau oppose l’auto-culture individuelle et familiale de cette ressource à la prolifération du marché noir. Pensez-vous qu’à cet endroit on puisse parler d’un droit ou d’un devoir ? Quelle est votre opinion sur ce principe ?

Le droit à l’auto-culture est absolument essentiel. Dans un régime de légalisation contrôlée, il permet de réduire le marché noir résiduel tout en limitant la mainmise des grands groupes sur la production et la distribution de cannabis.

Le gouvernement Trudeau s’est battu pour maintenir ce droit à l’auto-culture contre l’opposition du Sénat canadien. Inscrit dans le droit fédéral, l’auto-culture a été interdite par certaines provinces, notamment par le Québec. Mais il est probable qu’au terme du contentieux constitutionnel qui ne manquera pas de naître sur le sujet, la loi fédérale l’emportera in fine sur la loi provinciale. A mon avisil sera possible de cultiver légalement du cannabis à des fins personnelles dans tout le Canada d’ici quelques années.

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LC: De manière générale, quel regard portez-vous sur la légalisation canadienne ?

Le processus de légalisation du cannabis récréatif au Canada a une longue histoire. La réforme a été mûrement réfléchie et elle est équilibrée, à mi-chemin du modèle uruguayen, assez restrictif, et des expériences très libérales menées aux Etats-Unis. Il convient de patienter un peu pour en tirer les leçons qui s’imposent. On va bien voir ! A ce stade de l’histoire, il faut expérimenter, puis évaluer et identifier les bonnes et les moins bonnes pratiques.

J’entends les critiques de certaines organisations selon lesquelles la légalisation canadienne serait liberticide, stigmatiserait les consommateurs et demeurerait fondamentalement répressive. Mais la légalisation du cannabis ne consiste pas à s’affranchir du droit ! Elle implique certes d’abroger un interdit. Mais elle requiert surtout de réglementer des pratiques qui étaient jusqu’à maintenant criminalisées. Ce processus politique nécessite de faire des concessions aux acteurs sociaux qui, à tort ou à raison, sont inquiets d’une brusque libéralisation. C’est ainsi, de manière progressive, que la société apprivoise les comportements déviants.

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LC: Si d’un coup de plume vous deviez esquisser les contours d’une légalisation contrôlée du cannabis en France, selon vous à quoi ressemblerait-elle?

Francis Caballero avait rédigé un beau projet en ce sens il y a quelques années (Legalize it ! éd. L’Esprit frappeur, 2012). Pour ma part, je n’ai pas de solution clé en main. Une chose est néanmoins certaine : la réforme du droit doit être pensée à la lumière du contexte historique, culturel et économique du pays dans laquelle elle est mise en œuvre.

Pour être juste, la légalisation Française du cannabis devra protéger l’industrie chanvrière nationale tout en faisant vivre les partenariats économiques existant, depuis des décennies, entre la France et le Maghreb. Pour être efficace, il faudra autoriser la production, la distribution et la consommation de cannabis, mais également poser des limites aux modalités d’utilisation de cette plante. Pour être protectrice, la légalisation devra reconnaître la dangerosité intrinsèque de ce produit et prendre en compte l’existence d’usages problématiques qu’il convient, à l’instar de la dépendance alcoolique, de prévenir et soigner. Enfin, il faudra encadrer la culture du cannabis de manière à en réduire l’empreinte écologique au minimum.

 

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Crédits : Alex Person @unsplash

 

Il est important de garder à l’esprit les enjeux sanitaires et sociaux de la réforme à venir. Dans un monde où les forces du marché sont de moins en moins contraintes, où les pulsions consuméristes sont flattées, et où les formes traditionnelles de contrôle social tendent à s’affaiblir, ne perdons pas de vue la nécessité de protéger les plus jeunes et les plus vulnérables.

Il faut pour cela prévenir l’abus de cannabis par des campagne d’information intelligentes, non moralisatrices, et éviter une marchandisation excessive qui pourrait conduire à sa promotion. Il convient à cet égard de bien distinguer les choses : la loi qui concerne la présentation sous un jour favorable de l’usage de cannabis est une atteinte à la liberté d’expression tout à fait scandaleuse. En revanche, la publicité commerciale et l’incitation à l’achat doivent demeurer interdits, y compris dans un contexte de légalisation contrôlée.

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Les effets négatifs de la prohibition sont considérables. La légalisation permettra d’y pallier dans une certaine mesure. Elle protégera les consommateurs contre le harcèlement policier et judiciaire dont ils font l’objet. Elle réduira la criminalité organisée qui est aujourd’hui dynamisée par l’interdit. Elle garantira le contrôle de la qualité des produits en circulation. Mais elle ne résoudra pas tous les problèmes liés à l’abus de cannabis et on ne peut exclure qu’elle engendre, à son tour, des conséquences délétères. Pour réduire ce risque et pour y répondre s’il se réalise, l’état régulateur doit être en première ligne. S’il se retire du jeu après avoir levé l’interdit, ce n’est pas un monde de joyeux hippies qui apparaîtra mais un marché aux mains de corporations dont l’unique finalité est le profit.

 

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Crédits: Knollzw @ Pixabay

 

LC: Illuminatis, francs-maçons, big pharma, lobbies en tous genres. Chacun parmi le million d’usagers français quotidiens de cannabis a sa théorie. Selon vous, qui se cache vraiment derrière la prospérité hexagonale de la prohibition du cannabis ?

Le caractère irrationnel et contre-productif des lois qui régissent le cannabis dans notre pays est propice au développement de théories complotistes. Mais il n’est pas nécessaire de s’en remettre à ce type d’explication simpliste pour expliquer la pérennité de la prohibition française.

Il me semble que le conservatisme de notre politique des drogues est surtout le fruit de l’ignorance et de la peur. Nous avons derrière nous un siècle de diabolisation de l’herbe. Pour les millions de français qui n’ont jamais été en contact avec ce produit, le cannabis est encore effrayant. Les bureaucrates qui nous gouvernent, s’ils n’en consomment pas, en ont souvent une représentation caricaturale.

Le danger de cette drogue est hypostasié. Les risques des consommations abusives sont réels mais leur présentation est spectaculairement dramatisée. Les effets pervers de l’interdit, tant en terme sanitaire que sécuritaire, sont en revanche sous-estimés. Quant aux vertus psychédéliques du cannabis, elles sont moquées ou présentées sous un jour très négatif, sans doute parce qu’elles ne flattent ni l’idéologie contemporaine de la performance, ni notre culture nationale de l’ébriété. Maintenir cette plante dans l’illégalité est finalement un bon moyen de nous donner bonne conscience tout en cultivant notre déni collectif des dangers liés à l’abus d’alcool. Ce puissant anxiolytique, dont notre Président vante les mérites, est pourtant responsable de maux bien plus considérables que le cannabis.

 

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Renaud Colson

LC: Si vous deviez partir sur une île déserte, emporteriez-vous une variété de cannabis plus qu’une autre avec vous ?

Qu’est-ce qui vous fait croire que j’emporterais du cannabis sur une île déserte ? Peut-être que je fais partie des millions de français qui n’en consomment pas. On peut ne pas faire usage de cette plante et pour autant être convaincu de l’absurdité de la prohibition et en faveur de la légalisation.

Quand bien même je ferais usage de cannabis, je ne vous le dirais pas. Assumer publiquement ce type de pratique m’exposerait à un risque de poursuites judiciaires. Mes étudiants en droit, dont plus de la moitié me disent consommer du cannabis, m’expliquent candidement que l’interdiction ne leur est pas destinée et qu’ils sont à l’abri de la répression : celle-ci ne viserait, selon eux, que les jeunes des milieux populaires sans bagage universitaire ou nos concitoyens d’origine étrangère. Ils ont, malheureusement, sans doute raison, mais je ne tenterais pas le diable.

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De toute façon, si je consommais du cannabis, je serais probablement bien en peine de distinguer entre les dizaines de variétés commerciales qui inondent le marché. A vrai dire, la fascination que ce marketing exerce sur le peuple de l’herbe me laisse perplexe. Il n’est même pas besoin d’attendre la légalisation pour que le nouvel esprit du capitalisme ne façonne les représentations des amateurs de cannabis. C’est un peu flippant.

Bon, de toute façon, il n’y a plus d’île déserte où fuir ses semblables. Le monde est plein, il va falloir vivre ensemble. Est-ce que le cannabis peut nous y aider ? La question reste entière. 

* * *

 

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— Interview exclusive réalisée en Novembre 2018 – Jean-pierre Ceccaldi pour The Blinc Group – Le Cannabiste 2018 Tous droits réservés –

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