Bangkok, calme en apparence, vit une tempête feutrée. La Thaïlande, qui avait fait sensation en légalisant le cannabis, vient de serrer la vis aussi vite qu’elle l’avait desserrée. Entre prescriptions obligatoires, fermetures annoncées et entrepreneurs déboussolés, le vent a tourné pour l’herbe légale. Les rues encore pleines d’enseignes vert fluo ne savent plus à quel joint se vouer.
Le Cannabiste décrypte ce bad trip législatif à la thaïlandaise.
Le grand revirement de la Thaïlande sur le cannabis
À Bangkok, les enseignes fluo aux feuilles bien vertes sont encore allumées… mais pour combien de temps ? Le gouvernement thaïlandais a opéré un virage aussi serré qu’un tournant sur route de montagne : après avoir ouvert en grand les portes du cannabis légal, voilà qu’il les referme à double tour. Le 9 juin, une nouvelle série de règles est tombée comme une enclume : le cannabis récréatif est à nouveau interdit, et les boutiques doivent désormais exiger une prescription médicale pour vendre quoi que ce soit.
En seulement trois ans, la Thaïlande avait bâti une industrie du cannabis évaluée à un milliard de dollars, avec des milliers de commerces ouverts un peu partout dans le pays. Mais, à cause de la Loi Cholnan, ce boom vert pourrait bien virer au blackout total. Pour beaucoup, cette volte-face législative ressemble moins à un ajustement de fond qu’à un sérieux retour en arrière.
Une industrie en plein désarroi
Ce qui s’annonçait comme une success story économique à la sauce tropicale vire à la crise existentielle pour le secteur cannabique thaïlandais. En l’espace de quelques semaines, des centaines de commerçants, cultivateurs et investisseurs ont vu leur avenir basculer dans l’incertitude la plus totale. Ce n’est plus une simple régulation, c’est un véritable coup de frein en pleine ligne droite.
Le retour de l’ordonnance médicale
Le détail qui fâche ? Désormais, toute vente de produits à base de cannabis doit être validée par un professionnel de santé. Oui, même pour un petit sachet de fleurs. Le flou règne quant à la mise en place réelle de ce système, et la rumeur dit que les boutiques devront peut-être se transformer en cliniques pour continuer à exister. Une idée qui fait tousser plus d’un entrepreneur.
C’est le cas de Natthakan Punyathanaworakit, propriétaire de trois shops à Bangkok, dont un a déjà dû fermer. Elle n’a pas mâché ses mots : “La plupart des magasins vont mettre la clé sous la porte.” Et pour cause : embaucher un médecin à temps plein, ce n’est pas exactement dans le budget des petites échoppes.
Les petites boutiques en ligne de mire

“C’est toujours les mêmes qui trinquent,” déplore Chokwan Chopaka, autre figure du milieu cannabique local. Selon elle, les petites structures, familiales, artisanales, seront les premières à disparaître. Elle peint un tableau très “tranché de vie” : la femme au tri des têtes, le mari à la culture, et tout ce beau monde bientôt sans activité.
Et ce n’est pas qu’un coup dur économique. C’est aussi un choc pour l’identité de ce marché, qui s’était construit rapidement mais avec une énergie certaine. Les entrepreneurs parlaient de liberté, de seconde chance, de projets de vie. Aujourd’hui, c’est plutôt course à la conformité, sous menace de fermeture ou de retour à l’illégalité.
Le jeu politique derrière la réforme
Cette marche arrière ne sort pas de nulle part. En réalité, c’est un coup de théâtre politico-sanitaire. Le Parti Bhumjaithai, fervent défenseur de la légalisation en 2022, a récemment quitté la coalition au pouvoir. Ce retrait, provoqué par un désaccord sur la gestion d’un conflit frontalier avec le Cambodge, a laissé un vide que Paetongtarn Shinawatra, la Première ministre, a comblé à sa manière : en serrant la vis.
Le ministère de la Santé, emmené par Somsak Thepsutin, affirme que ces nouvelles règles visent à protéger la jeunesse et à limiter les abus. Très bien sur le papier. Mais dans les faits, les contrôles restent rarissimes, et la majorité des infractions signalées relèvent du simple manque d’encadrement initial. Car oui, la légalisation de 2022 avait été adoptée dans l’urgence, avec des règles floues mises en place après coup.
Entre temps, l’image de la Thaïlande comme destination “weed-friendly” avait gagné du terrain. Khao San Road, paradis des backpackers, s’était transformée en mini-Amsterdam, ambiance joints et smoothies au CBD. Mais tout cela est en train de tourner au vinaigre. Touristes frileux, boutiques désertées, cultivateurs paumés : tout l’écosystème vacille.
Un exemple frappant ? Les deux touristes britanniques arrêtées plus tôt cette année à Tbilissi et Colombo, en possession de grosses quantités de weed achetée à Bangkok. Résultat : des peines de prison lourdes en perspective, et une mauvaise pub pour tout le secteur.










