Imaginez vendre un produit légal, encadré par la loi, testé, contrôlé… et vous retrouver en garde à vue comme un trafiquant. C’est exactement ce qui arrive à des commerçants texans du CBD, pris dans un engrenage kafkaïen où la science se plie à la volonté des flics. Le crime ? Du chanvre riche en THCA, une molécule parfaitement légale, jusqu’à ce qu’elle passe par une machine qui la transforme en “preuve à charge”. Bienvenue dans le Far West version laboratoires et procès, où tout est légal… jusqu’à ce que l’État en décide autrement.
Enquête sur Le Cannabiste, là où le chanvre reste une plante… pas un prétexte.
Les racines d’un piège légal en pleine croissance
Au Texas, être dans le business du chanvre légal, c’est un peu comme jouer à la roulette russe avec des balles de paperasse juridique. Les boutiques de CBD se font perquisitionner, les vendeurs arrêtés, et les stocks saisis comme s’il s’agissait de labos clandestins. Pourtant, ces commerces respectent la loi. Mais voilà, dans le grand État du cow-boy, la loi n’est pas forcément celle que l’on croit… surtout quand la science vient y mettre son grain de sel mal chauffé.
David Sergi et Kyler Rucker, avocats chez Sergi and Associates à San Marcos, tirent la sonnette d’alarme. Ce n’est pas une simple dérive policière : c’est une méthode, un plan, un business bien huilé. Et au cœur de ce tour de passe-passe juridique : un laboratoire pas comme les autres.
Le piège du THCA : un tour de passe-passe scientifique
Le point de friction ? Le THCA, cette molécule non psychoactive, précurseur du THC, que l’on retrouve naturellement dans le chanvre. Le Texas autorise la vente de chanvre à condition qu’il contienne moins de 0,3 % de delta-9 THC par poids sec. Et, précision cruciale : le THCA n’est même pas mentionné dans la loi. Autrement dit, il est légal.
GC-MS : l’outil de la confusion volontaire
Mais dans les labos, notamment chez Armstrong Forensic Laboratory, le THCA ne reste pas longtemps une molécule anodine. Lorsqu’on le teste avec la méthode GC-MS (chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse), il subit une transformation chimique appelée décarboxylation. Résultat ? Le THCA devient du delta-9 THC pendant le test.
Autrement dit, ce qui est testé n’est plus ce qui a été saisi. Une version modifiée, transformée par la chaleur du test, devient la base de l’accusation.
Quand la science déraille au tribunal
Dans un rapport d’avril 2025, la Texas Forensic Science Commission (TFSC) confirme le problème :
« Le GC-MS sans agent de dérivatisation entraîne la conversion du THCA en THC. »
Et ajoute :
« Le THC total rapporté peut provenir de THCA présent dans l’échantillon. »
Traduction ? L’échantillon analysé n’était pas illégal, mais le devient à cause du test. Et malgré cela, ces résultats sont utilisés devant les tribunaux. Le laboratoire est incapable de distinguer le THC réellement présent de celui créé artificiellement lors du test, mais ça ne l’empêche pas de classer le produit comme illégal.
Laboratoires et forces de l’ordre : une alliance lucrative
Pourquoi continuer à utiliser une méthode aussi discutable ? La réponse tient en un mot : profit. Chaque test réalisé par Armstrong Forensic Laboratory est facturé près de 300 dollars, un tarif bien au-dessus des standards du secteur. Et ce n’est pas tout : ce laboratoire est le chouchou de dizaines d’agences texanes de maintien de l’ordre.
Armstrong Forensic, ou la machine à inculper
Le laboratoire, dirigé par Dr. Kelly Wouters, ne se contente pas de tester. Elle commente aussi les lois, affirmant dans des échanges internes que :
« Le THCA n’est pas une substance légale. »
Un point de vue qui contredit carrément le Département de l’Agriculture du Texas.
Les rapports produits par Armstrong mélangent THCA et THC sans distinction claire. Le rapport qualité du DPS de mars 2025 l’admet sans détour :
« Les résultats du laboratoire sont rapportés en THC total, pouvant inclure THC, THCA ou les deux. »
Mais bon, tant que ça mène à des arrestations, tout le monde semble content… sauf les commerçants.
Et si le vrai problème, c’était le pouvoir ?
Le bouquet final ? Ces raids spectaculaires, ces arrestations soudaines, ne sont pas seulement le fruit du zèle. Ils sont minutieusement orchestrés pour appuyer des projets de loi en faveur du recul de la légalisation aux US. Notamment le très controversé SB3, porté par le Lieutenant-Gouverneur Dan Patrick, qui cherche à interdire une grande partie des produits dérivés du chanvre.
Chaque arrestation devient une vitrine : regardez, le CBD est dangereux ! Il faut légiférer ! Pourtant, comme le rappelle encore une fois le rapport du TFSC :
« Des efforts significatifs sont en cours pour interdire les produits THC intoxicants. »
Et si on n’arrive pas à les interdire via le Parlement ? On les démonte par les laboratoires.
Bref, si vous pensiez que vendre du chanvre légal aux États-Unis vous protégeait… bienvenue dans le Texas, où tout est légal jusqu’à ce que le laboratoire en décide autrement.