Interview Le Cannabiste: Anne Coppel est une sociologue spécialisée dans la politique des drogues et la lutte contre le sida depuis plus de 25 ans. Les travaux d’Anne ont débouché sur le concept de Réduction Des Risques et celui d’usager responsable. Elle se bat depuis 1989 aux côtés de toutes celles et ceux qui sont sensibles à la tolérance et au progrès. L’humanisme Français lui doit beaucoup, les Cannabistes aussi. Aujourd’hui nous avons l’humble plaisir et l’immense privilège d’accueillir Anne Coppel.
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Alors que nous avions prévu de rejoindre le peuple de l’herbe pour un week-end Cannabique à Irun, il fallait bien trouver quelqu’un de qualifié pour prendre soin de nos lectrices et nos lecteurs pendant cette courte absence.
On a demandé à Agnès mais elle était occupée, alors on a téléphoné à Marisol …. pas libre. Roselyne avait piscine, Éric avait Rendez-vous chez le juge et Jean-Louis était pris par les vendanges. Simone était déjà partie, Martine et Élisabeth avaient séminaire… Bref personne sous la main pour garder nos petits Cannabistes chéris pendant le week-end.
Alors on a téléphoné à directement à Marraine Anne. Et elle a généreusement accepté de nous venir en aide. Parce qu’Anne au moins on peut compter sur elle…
Anne Coppel
#Interview
LC: Bonjour Anne, merci de nous faire la joie d’être avec nous aujourd’hui. Ça ne vous dérange pas si on vous appelle Marraine?
« Je crois que je peux vivre avec ça *rire*. Du moment que vous ne m’appelez pas grand-mère ! »
LC: Avez-vous apporté quelque chose pour tenir les Cannabistes occupés pendant le week-end?
« Oui je leur ai choisi un lien qui devrait plaire à tout le monde et certainement occuper les esprits. Voilà je vous mets ça là : https://idpc.net/fr/alerts/2018/08/l-oms-ouvre-le-debat-sur-le-cannabis-aupres-de-l-onu«
c’est précisément ce que les pouvoirs publics veulent ignorer … »
LC: On vous connaît au travers de la question de la prévention des risques en France. Votre nom apparaît souvent au bas des écrans et dans la presse pour en parler. En quelques mots, quelle est votre histoire, et comment vous présentez vous ?
« J’ai mené de front recherches sociologiques, expérimentations de terrain et militantisme associatif, un engagement au croisement de mon histoire professionnelle et personnelle, dont l’expérience de la consommation de drogues.
Au cours des années 80, j’ai mené comme sociologue plusieurs recherches-action pour répondre aux problèmes posés par la diffusion de l’héroïne. En pleine épidémie de sida, la répression des usagers de drogue était alors la seule réponse, ce qui a provoqué une véritable catastrophe sanitaire et sociale. »
« Nous avons été quelques uns à expérimenter des actions qui associent les usagers de drogue à la prévention du sida, malgré l’opposition des pouvoirs publics et de la majorité des professionnels de santé. Distribution de seringues stériles, prescription de substitut à l’héroïne c’est devenu la politique officielle de santé publique.
Grâce aux résultats que nous avons obtenus on compte la réduction de 80% des OD mortelles la fin du sida dû à l’injection. Désormais, cette politique de santé s’applique à tous les psychotropes, Cannabis ou alcool, ce qui remet en cause la prohibition, mais c’est précisément ce que les pouvoirs publics veulent ignorer. »
ASUD, Techno-plus, le CIRC ou Principes Actifs … »
LC: Quels sont les partenaires et les organismes avec lesquels vous travaillez de longue date et encore aujourd’hui ?
J’ai commencé à travailler avec tous ceux et celles qui ont expérimenté les premières actions de réduction des risques, usagers de drogues, militants de la lutte contre le sida, professionnels de santé. Entre 1992 et 1993, nous nous sommes regroupés dans un collectif inter-associatif ‘Limiter la casse’ et avec le soutien de AIDES et de MDM, des actions ont pu être expérimentées un peu partout en France.
A la fin des années 90, l’urgence sanitaire a été surmontée, ce qui a provoqué une baisse de la mobilisation. Nous avons été moins nombreux à nous engager pour une autre politique des drogues. C’est un combat que je mène aujourd’hui aux côtés d’associations d’usagers de drogues, dont ASUD, Techno-plus, le CIRC ou Principes Actifs. Du côté de la recherche, je participe au séminaire ‘Prohibition’ de l’EHESS, l’école des hautes études en sciences sociales. »
un tournant majeur, grâce aux premières expérimentations de légalisation du cannabis… »
LC: Est ce que ce combat en faveur des usagers et d’une légalisation contrôlée du Cannabis a changé en 2018? On en est où à présent sur ce sujet?
Manifestement, nous sommes à un tournant majeur, grâce aux premières expérimentations de légalisation du Cannabis sur le continent Américain, au Nord comme au Sud. Ce n’est pas un hasard, parce que précisément sur ce continent, l’escalade de la guerre à la drogue a provoqué une série de catastrophes, des guerres meurtrières particulièrement en Amérique centrale. Ou encore les quelques 55 millions d’incarcérations pour drogues aux USA depuis Reagan… une véritable guerre raciale, qui touche près 90% de blacks, mais qui un peu partout dans le monde, frappe les minorités, et ce y compris en France.
Aujourd’hui, dans la plupart des pays européens, une bascule est en cours avec le Cannabis thérapeutique, ce qui remet en question le classement du cannabis dans les traités internationaux comme ‘drogue dangereuse sans usage thérapeutique’. On attend avec impatience un rapport de l’OMS sur cette question pour novembre 2018.
LC: Depuis un certain nombre de mois, en France, la question de la vente de CBD et de chanvre de détail défraie la chronique. Quelle est votre sentiment à ce sujet ?
Ces initiatives montrent que le Cannabis thérapeutique concerne un large public – autrement dit un large marché. La réponse répressive Française est particulièrement absurde puisque le CBD n’a pas d’effets psychotropes, comme l’OMS vient de le constater. Une des conséquences de la répression est l’absence de régulation de ce marché, avec un contrôle de la qualité des substances en vente.
LC: Vous avez participé à Marseille récemment, à un colloque aux côtés du CIRC. Quel regard portez vous sur le militantisme Cannabique Français?
Je soutiens le CIRC depuis sa création. Nous leur sommes redevables de la mobilisation depuis les années 90, mais au cours des années 2000, nous avons été confrontés à une escalade de la guerre contre le Cannabis, qui nous a tous pris de court avec une succession de campagnes caricaturales sur le Cannabis qui rend dépendant, qui rend fou et qui tue (sur les routes). Le recul du militantisme sur la question des drogue a été général, et que ce soit sur la réduction des risques ou sur le Cannabis, nous avons tous eu du mal à mobiliser les nouvelles générations. Il y a heureusement quelques nouvelles initiatives comme les Cannabis social-club et ou bien sur le Cannabis thérapeutique.
Je croise les doigts pour que les associations s’associent … »
Je n’attache pas beaucoup d’importance aux conflits inter-associatifs qui sont pour moi en partie un héritage de la période de recul que nous avons vécu depuis plus d’une décennie. Il y a en plus la question du bizness : une concurrence pour un marché lucratif… Je croise les doigts pour que les associations s’associent – dans l’intérêt général ! »
LC: Quelle est la variété de Cannabis que vous emporteriez avec vous sur une île déserte, si vous ne pouviez en choisir qu’une seule
« Désolée, je ne sais pas répondre à la question ! Je suis une consommatrice très occasionnelle de Cannabis, je suis devenue très sensible aux effets psychotropes et je redoute les taux élevés de THC pour ma propre mémoire.
Je me contente de ce que mes amis auto-cultivateurs me proposent, sans m’inquiéter de la variété. »
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Retrouvez Anne Coppel dans une interview de haute volée sur le site HORS SÉRIE: Héroïne : la catastrophe invisible (contenu sur abonnement).
Un remerciement particulier à Hors Série / Arrêt sur image et Laura Raim pour l’image et la superbe réactivité 🙂
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#Les Publications d’Anne Coppel
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Sources et images :
— Interview réalisée en Septembre 2018 — Jean-pierre Ceccaldi pour The Blinc Group – Le Cannabiste 2018 Tous droits réservés –