Maître Ingrid Metton: La pénaliste du Cannabis

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Elle devient l’unique espoir d’en sortir, pour ceux que la justice enferme et punit parce qu’ils ont possédé, transporté, consommé ou même cultivé du Cannabis, que ce soit ou pas dans le but de se soigner.
C’est celle, qui défend aujourd’hui de nombreux commerçants aux prises avec la justice pour avoir vendu des fleurs chanvre et des produits dérivés. Comme elle s’exprime très peu dans les média, sa parole est rare mais son discours percutant.
Nous sommes allés à la rencontre de Maître Ingrid Metton, Avocate pénaliste. En exclusivité pour Le Cannabiste.

 

7 Questions à Maître Ingrid Metton: pénaliste du Cannabis

 

LC: Est-ce que le principe de plaider dans des affaires impliquant des consommateurs et des cultivateurs de Cannabis constitue un choix de départ, ou bien c’est le fait d’une simple opportunité?

« Je plaide dans ce type d’affaires depuis que j’ai prêté serment il y a déjà 4 ans. Lorsque j’ai débuté ma carrière, je ne connaissais pas la question du Cannabis en particulier. Mais il est vrai que dès qu’on s’intéresse au sujet, la situation légale au niveau du Cannabis en France est assez ahurissante.

Au départ, j’avais choisi d’exercer le droit pénal. C’est un peu par hasard que j’ai été confrontée au cas de Monsieur Rambaud au tout début de ma carrière. Çà reste un dossier très emblématique de l’usage médical du Cannabis. C’est certainement celui qui constitue mon point d’entrée dans le domaine du droit pénal et sur le sujet du Cannabis en particulier. »

 

« Lorsque un consommateur ou un cultivateur de Cannabis est laissé libre, la justice Française ne prononce pas pour le moment de relaxe, elle se contente d’une dispense de peine. 

La nuance c’est qu’avec une dispense de peine la culpabilité des personnes est admise par la justice, mais qu’elle n’a pas estimé nécessaire d’appliquer les peines prévues par la loi. La relaxe, cela signifierait en revanche que les prévenus n’ont pas été reconnus coupables tout simplement. »

 

LC: Pouvez-vous brosser un rapide aperçu des procès dont les issues ont été les plus significatives pour vous?

« Il n’y en a pas encore eu des centaines *sourire*.  Jusque-là, je suis parvenue à obtenir une dizaine de dispenses de peines de la part de la justice Française au bénéfice d’utilisateurs de Cannabis dont certains étaient effectivement leurs propres cultivateurs.

Je peux citer l’exemple d’une personne tétraplégique, qui se trouvait désocialisée par un traitement lourd aux effets narcotiques très invalidants. Lorsqu’elle s’était mise à utiliser du Cannabis, sa vie a totalement changé au point qu’elle a pu se remettre à travailler. Malheureusement pour elle, ses voisins avaient signalé la présence de pieds de Cannabis dans son jardin à la police.

Après qu’elle ait été arrêtée et sa plantation saisie, la justice s’apprêtait à la condamner pour  détention de stupéfiants.

J’étais parvenue à faire état du besoin pour la personne d’utiliser du Cannabis afin de pouvoir de nouveau fonctionner normalement dans notre société. Alors en l’absence d’antécédents judiciaires, de victime et sans danger avéré pour notre société, les juges avaient choisi la dispense de peine. Je crois que cette affaire, ainsi que celle de Mr Rambaud, restent certainement les plus significatives. »

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Bertrand Rambaud – Photo http://ufcmed.org/

Le cas de Bertrand Rambaud

« Au moment de son arrestation, Bertrand Rambaud était atteint d’une série de pathologies assez lourdes. Il était diagnostiqué porteur de deux Hépatites et également du VIH. Pour couronner le tout, ce monsieur présentait de très fortes réactions aux traitements antirétroviraux qui lui étaient imposés.

Il supportait très mal les traitements qui l’empêchaient de mourir à petit feu de ses maladies chroniques. A chaque nouvelle tentative de trithérapie, la violence des effets indésirables impactait sa santé au point le pousser à y renoncer complètement.

Pour lui, utiliser du Cannabis, c’était devenu une question de survie. Alors après un véritable parcours du combattant, qui a duré plusieurs années pour s’en procurer, il a fini par se retrouver confronté à la justice pour détention de stupéfiants.

La justice a finalement reconnu, que Mr Rambaud avait effectivement enfreint la loi, mais l’a dispensé de peine grâce à des antécédents vierges, c’était aussi un crime sans victime, mais surtout: Monsieur Rambaud ne présentait aucune menace, ni pour la société, ni pour personne. »

 

 « Le Cannabis a littéralement sauvé la vie de Bertrand Rambaud, en lui permettant de poursuivre ses traitements antirétroviraux. »

 

 

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Maître Ingrid Metton

LC: Les magasins de chanvre et de produits au CBD fleurissent et sont devenus l’objet d’une répression accrue. La justice requalifie systématiquement le commerce de chanvre en trafic de stupéfiants. Sur quel fondement juridique repose cette démarche ? Le droit Européen n’est-il pas opposable ? Vers qui, vers quoi, peuvent se tourner les commerçants qui font l’objet des procédures et à quoi doivent s’attendre les prévenus?

« Il faut tout de suite préciser qu’il ne s’agit pas de requalification mais de qualification toute simple. En France le Cannabis est une plante qui est classée comme stupéfiant, ce qui veut dire que par principe elle est interdite, et que donc, toute activité autour du Cannabis est elle aussi interdite. A la différence du droit Européen pour le droit Français, le mot ‘chanvre’ est une notion qui n’existe pas. Le droit Européen, qui s’intéresse au marché commun et au marché agricole, prend en compte l’existence du mot ‘chanvre’.

 

« pour le droit tout est Cannabis, donc tout est interdit »

 

« Le droit Français lui ne parle que de Cannabis ; et comme tout est défini par le mot ‘Cannabis’, qui est un stupéfiant totalement illégal, tout est donc interdit. Cependant il y a quelques exceptions avec de rares autorisations de mise sur le marché de médicaments à partir de Cannabis. Il y a aussi l’exception de la culture du Cannabis cultivé pour sa fibre et pour les graines dans un but industriel.

Le droit Français, comme le droit en général à propos de cette plante, s’est d’abord construit dans le cadre de la lutte contre les drogues et la répression de l’usage des stupéfiants. C’est seulement en second  lieu qu’on a considéré la possibilité de créer des exceptions pour en permettre la culture sous des aspects industriels. Dans d’autres pays on a pu créer des exceptions qui en permettent aussi un usage récréatif ou médical.

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Pour ce qui est de les opposer c’est assez subtil, certains éléments du droit Européen qu’on appelle ‘d’applicabilité directe’ sont opposables au droit national Français, mais les tribunaux nationaux ont aussi le droit de refuser cette ‘applicabilité directe’ et cela a été le cas jusqu’à maintenant pour les affaires concernant le CBD en France. »

C’est un combat judiciaire que nous continuons de mener avec mes clients, la France ne pouvant indéfiniment rester en infraction vis-à-vis de l’Union Européenne.

 

« il n’y avait pas de poursuite en justice avant la note de la MILDECA »

 

« En ce qui concerne les magasins de chanvre et de CBD les choses sont assez différentes selon où l’on se trouve en France. A Paris on assiste ces dernier temps à une répression très forte avec des mises en examen. Dans d’autres villes, plutôt en province pour les mêmes faits, il y a eu des classements sans suite ou de simples rappels à la loi. On ne peut pas parler de traitement homogène, mais il est sur que depuis 1 mois, il y a une forte volonté répressive des autorités.

Jusqu’à maintenant il y avait une permissivité totale sous les 0.2% de THC. Et c’était valable aussi bien pour les fleurs que pour les produits transformés. Jusque là il n’y avait pas de poursuite en justice avant la note de la MILDECA. Or depuis le 11 Juin et le prétendu rappel de la MILDECA, qui est en fait une prise de position juridique, d’un seul coup tout le monde semble avoir changé de fusil d’épaule.

 Alors comment expliquer que jusque-là les services des douanes, de la police ou de la gendarmerie considéraient tous que ce type de produit était légal? Aujourd’hui lorsque je pose la question on me répond: ils se sont tous trompés.

Si vraiment le droit interdit ce type commerce (ce que je ne pense pas), comment peut-on reprocher à des citoyens lambda de mieux connaître le droit que les fonctionnaires de police, ceux des douanes et même que les procureurs, pour qui tout cela était légal, jusqu’à il y a un mois? »

 

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Illustration Police – Photo ev@unsplash

 

LC: Vous avez été récemment mise à contribution pour représenter des  magasins parisiens dont un salon de thé.  Dans la mesure où ça vous est permis, pouvez-vous nous faire une mise à jour sur ces affaires ?

« Alors comme vous le savez je suis tenue à une totale confidentialité sur ces affaires. Ce que je peux dire, c’est qu’au moins un de ces magasins vendait pas de fleurs séchées car il s’agissait uniquement de produits alimentaires. »

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« des commerçants traités comme de véritables délinquants »

 

« Vous savez, les personnes mises en examen dans cette affaire sont des gens qui n’avaient jamais eu affaire à la justice auparavant. Pour certaines d’entre elles, qui ont été traitées plus ou moins durement, la garde à vue et la présentation à un juge d’instruction représentent une suite de difficultés assez énorme. »

 Il faut bien reconnaître que soudain des personnes à priori ‘normales’ comme vous et moi, qui sont juste des commerçants, se retrouvent traités comme de véritables délinquants ou des dealers de drogue patentés. Cela interroge la justice sur le traitement qui est réservé à ces personnes aujourd’hui. Cela constitue une situation sans précédent. »

 

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Illustration: Fleurs de Cannais en pot – Photo Alex Alexander@pixabay

 

 LC: Est-ce que ces arrestations sonnent le glas du commerce de CBD en France?

Dans un pays où on soutien publiquement les start-up il faut quand même noter que la plupart de mes clients inculpés pour trafic de stupéfiants sont précisément de jeunes entrepreneurs. Le business du CBD est florissant et pourrait ramener des sommes faramineuses à l’état, au lieu de lui occasionner des coûts comme c’est le cas en ce moment.

Je trouve cette situation totalement ridicule, à cette occasion j’en appelle à la responsabilité des décideurs politiques pour faire changer les choses en matière de réglementation sur ces produits. »

 

« je ne pense pas que le CBD soit un produit neutre »

 

« La récente vague de répression, marque à mon avis le début d’une recherche de régulation, par contre je suis inquiète sur la façon dont le chanvre et le CBD vont être régulés. J’espère personnellement qu’on ne va pas se retrouver avec un nouveau monopole absolu qui ne profiterait qu’à certains lobbys.

Sincèrement je ne pense pas que le CBD soit un produit neutre, mais je n’imagine pas qu’on doive absolument  le confier aux pharmaciens ou bien aux buralistes en exclusivité. La réglementation de ce produit est devenue absolument nécessaire car on commence à voir arriver en France des produits de CBD d’origine étrangère de composition douteuse.

C’est aussi sans compter sur les Cannabinoïdes de synthèse qui peuvent se révéler totalement dévastateurs sur la santé. L’état doit impérativement se mobiliser pour garantir la protection des consommateurs dans le domaine du chanvre et  CBD. »

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Illustration: cigarettes de Cannabis – Photo Outco California @unsplash

 

LC: En dépit des lois les moins permissives la France est le pays au où l’on consomme le plus de Cannabis. En tant que citoyenne mais aussi en tant qu’Avocate, que répondez-vous lorsqu’on évoque avec vous ce paradoxe Français?

« C’est un peu désespérant de constater que la France est toujours en retard sur les questions de société.

Le Cannabis est une plante extrêmement complexe et riche avec de multiples aspects, mais faute d’y réfléchir, nous laissons un marché de plusieurs milliards par an, aux mains du marché noir, parce que personne en France ne semble vouloir prendre ses responsabilités. Et en parallèle, notre gouvernement soutient qu’il faut supprimer 7 milliards d’euros d’aides aux plus démunis.

« Plus personne ne veut de la position Française en matière de Cannabis »

 

« Nous sommes arc-boutés depuis toujours sur une position où la posture sur le Cannabis se résume à interdire une plante dangereuse, c’est non seulement insensé, mais c’est devenu totalement contre-productif.

La politique de répression actuelle ne sert ni les entrepreneurs, ni les malades, ni les finances de l’état et elle échoue à résorber les trafics.  Je reste convaincue qu’une politique moins répressive et plus ouverte allégerait considérablement la tâche des services de police et de gendarmerie qui doivent faire face à de multiples tâches comme la lutte contre le terrorisme. Bref la législation en vigueur ne profite plus à rien ni à personne, et il devient urgent d’en changer. Plus personne en France, ne veut de la position Française en matière de Cannabis. »

 

« je trouve la législation actuelle aberrante »

 

LC: Est-ce que la compassion est une notion reconnue par le droit Français? Pensez-vous qu’une approche thérapeutique et compassionnelle du Cannabis serait en mesure possible de faire évoluer le droit Français comme aux USA? Comment fonctionne la jurisprudence à cet endroit ?

« Le système Français repose sur les textes de lois qui sont écrits en préalable et qui sont à la marge interprétés par les juges pour faire jurisprudence. Le système Américain dispose de moins de préalables car il y à très peu de textes de loi, mais il fonctionne d’avantage à la suite des décisions de justices par jurisprudence deviennent la loi.

Sur le volet thérapeutique en France, personnellement je me bats pour obtenir la reconnaissance de ‘l’état de nécessité’.

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Au-delà des dispenses de peines, je souhaite que la justice reconnaisse pour un certains nombre de malades qu’en l’état actuel, la pharmacopée existante ne leur donne pas d’autre choix que d’avoir recours au Cannabis pour répondre à leurs problèmes de santé. Cela voudrait dire alors qu’on ne peut pas les condamner car ils agissent dans un état de nécessité. »

« Aujourd’hui certaines personnes en France qui sont malades, n’ont pas d’autre choix que d’enfreindre la loi pour se soigner, il faut absolument que quelqu’un ouvre la voie, et c’est dans ce sens que je me bats aux côtés des médecins et des patients aujourd’hui. »

 

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Le ‘bon juge’ Magnaud qui avait présidé à l’affaire Ménard en 1898 – Photo Cour d’appel d’Amiens-

L’état de nécessité  » est une notion qui justifie que l’on ne puisse pas être condamné si l’on a enfreint la loi par obligation. C’est un fait justificatif créé le 22 avril 1898 en Cour d’Amiens pour Madame Ménard.

C’est l’histoire d’une mère de famille qui avait été contrainte de voler du pain pour nourrir son enfant afin de survivre avait pu être acquittée.

Depuis le droit Français peut prononcer un acquittement s’il a pu être démontré que la personne agit dans un ‘état de nécessité.

 

Question ‘Joker’ Le Cannabiste

LC: Si on vous dit: « Shiva Skunk , Northern Lights ou bien Acapulco Gold », est-ce que ces noms de variétés hybrides de Cannabis vous disent quelque chose ?

« Pas du tout ! (*rires*) En plus de ne pas être consommatrice de Cannabis, je n’ai aucune connaissance des désignations commerciales des différents hybrides. Je m’intéresse un peu plus à la dimension scientifique et en particulier chimique pour voir comment on pourrait utiliser certaines données en droit, mais c’est à peu près tout. D’ailleurs, au plus loin je me tiens du Cannabis, au mieux je peux travailler de façon neutre claire et efficace.

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C’est un combat que je mène parce que je trouve la législation actuelle aberrante et que cette situation cause du tort à tout le monde. Ce sont les raisons sincères de mon engagement. »

 

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Maître Ingrid Metton

 

Interview réalisée le 19 Juillet 2018 par Jean-pierre Ceccaldi pour Le Cannabiste

— Jean-pierre Ceccaldi pour The Blinc Group – Le Cannabiste 2018 Tous droits réservés —

A propos Jean-Pierre 1227 Articles
Fondateur et rédacteur du média Le Cannabiste. Je suis un journaliste autodidacte spécialisé dans le domaine du Cannabis. J'ai été choisi par un incubateur de Cannabusiness New Yorkais pour devenir leur consultant permanent en matière de Cannabis. Je publie de nombreux articles interviews et essais en langue Anglaise ainsi que pour la presse Française et l'industrie du Cannabis en général.